80cm
Il était grand, il était beau
Il ne sentait pas le sable chaud.
Il était barbu, poilu, bourru,
Il était têtu, fourbu, parfois ému.
Et dans ma belle histoire,
Entière était sa part.
Il était mon silence compréhensif, ma tendresse sans contrepartie, mon amour sans limites, ma dévotion sans bornes, mon obéissance aveugle, ma soumission totale. Au travers de lui je fus un dieu, sévère mais juste, je fus sa colère divine incomprise ou pas, ses moments de tendresse, partagés par nul autre. Je fus la voix de l’arrêt immédiat quel que fut l’élan et la motivation la voix, de l’ordre obéi dans l’instant. Je fus sa joie de retrouvailles, de récompenses. Au travers de lui, et de lui seulement, je fus un tout, un monde entier, un univers… un centre exclusif et unique. Il était de même pour moi.
Au cours des années, 12 pour être précis, il m’a permis d’atteindre des choses peu communes, qu'elles soit de fusion, de colère, d’amour, d’admiration et tant d’autres.
Il était toujours là, discret, brute, tendre, bourrin… tellement lui jusqu’au bout. Les yeux brillants, intelligents, ou parfaitement vides selon l’instant… Des instants comme ceux-là, j’en ai plein la tête, comme d’impérissables photos. Il était là à chaque instant de ma vie, dans les hauts, mes bas, mes chutes et mes envols. Un indéfectible compagnon à la fiabilité sans failles aucunes.
Il était pour moi tout simplement immortel… Et malgré toute la réalité de la vie, dont le but inavoué est de s’éteindre chaque jour un peu plus, il ne pouvait pas partir, c’était hors de propos. Pourtant cette réalité est incontournable, et je l’ai pris en pleine figure un beau matin.
Il était grand, il était beau
Il ne sentait pas le sable chaud.
Il était barbu, poilu, bourru
Il était fourbu, parfois perdu.
Et comme une sale blague…
Il était malade.
De beau, ce matin n’en avait que le ciel… et jusqu’à ma fin il en sera ainsi. De ce jour point de photos impérissables, mais bel et bien une vidéo haute définition a la trop longue durée.
Foutue mémoire.
Mais je n’ai pas a oublié, je n’ai pas à me pardonner. Tout se paye et cette facture et lourde, j’en suis le créancier et le débiteur et dans ces deux cas, je suis implacable et honnête. NON il n’aurait pas dû partir ainsi, c’était proscrit, impensable, hors de tout. Cette facture, insolvable, se doit d’exister et de perdurer. Je ne coupe pas de bois avec mes « si », pas plus que je ne mets Paris en bouteille. J’ai fait ce que je considère être la plus grosse erreur de ma vie, j’ai trop tardé, par vain espoir peut-être, mais c’est inexcusable.
Ce cri perçant, cette descente en trombe de l’escalier et cette découverte, haletante de douleur : c’était la fin. Quelque chose avait lâché en lui, une flaque d’urine a la base de son corps s’écoulait, son souffle était court, son œil douloureux. Un instant irréel, impensable… improbable. Lui il savait, moi je ne voulais pas y croire, puis devant sa douleur, j’ai souhaité qu’il parte vite, mais il n’en fut rien. Circonscrit dans sa douleur, je ne fus pendant ces trois longues heures, capable de rien, rien du tout, si ce n’est pleurer toutes les larmes de mon corps, pleurer et hurler comme jamais je ne l’avait fait, même pour un humain. Je n’étais capable de rien, même d’appeler celui qui est venu mettre un terme a sa douleur. Trois putains d’heures ou je l’ai vu, lui que j’ai regardé grandir, aimer, faire des conneries, des trucs effarants, lui que j’ai admiré et aimer plus que toutes autres choses sur cette terre. Trois putain d’heures ou je l’ai regarder agoniser, mourir lentement, ou je l’ai regarder se relever par 4 fois, perdre l’équilibre malgré lui, tomber mollement… lui si fort, si beau, si puissant… réduit à néant par une putain de maladie incurable. Et moi comme un connard, qui n’ai même pas pu lui offrir la mort paisible qu’il méritait… parce que c’était dimanche et que le fameux rendez-vous pour la mise en sommeil définitif… était demain.
J’ai… un insoutenable film dans la tête, qui tourne en boucle, mêlé à d’heureux instants qui se superposent. Mais la douleur est bien réelle et celle-ci… ne se dissoudra pas dans l’eau du temps, car je ferai tout pour la tenir hors de cette eau. Je n’ai pas encore la force de pousser plus en avant la description de ces instants de souffrances de mon plus fidèle compagnon. Ce que je sais, c’est que sa douleur, ses derniers instants non mérités, totalement incompatibles avec ceux qu’il aurait dû avoir, resteront gravés en moi, comme une épitaphe sur notre tombe commune. Ce qui va suivre pourrait paraitre gros pour certains, je ne leur en voudrais pas de cette incompréhension, mais c’est une incontournable évidence… je suis définitivement mort avec lui.
Je n’ai pas assez souffert de creuser sa tombe, je n’ai pas assez eu d’ampoules aux mains, la pelle était trop affutée, la terre trop meuble, je n’en ai pas assez chié pour l’enterrer. Pas autant que lui en a bavé avant de partir sur mes cuisses en me regardant droit dans les yeux. J’ai posé son corps en boule à quatre-vingt centimètres sous terre, il avait l’air de dormir… Je lui ai caressé la tête et j’ai chassé ces putains de mouches avant de poser des cailloux sur sa dépouille, doucement, tendrement, en pleurant comme une madeleine. Puis j’ai recouvert les cailloux de sable, en ai lissé consciencieusement la surface… et enfin remis la terre que j’avais extirpé. Je suis allé chercher des cailloux et en ai fait un petit tertre. Puisse le temps, le vent, les animaux, épargner a jamais ce petit endroit sous le chêne la bas.
A jamais gravé, inscrite, imbriquée, fixée dans mon âme et mon corps, l’odeur nécrosée de la mort portée par son dernier souffle. Pardon mon chien, pardon, de n’avoir pas su t’offrir la fin que tu méritais. Merci d’avoir été le compagnon si parfait, cet ami, dont je fus et suis encore si fier. Merci de m’avoir accompagné tout ce temps, de m’avoir supporté tout ce temps, de m’avoir prodigué cet inconditionnel amour.
Il était grand, il était beau
Il ne sentait pas le sable chaud.
Il était fort et puissant
Il était l’or de mon temps.
Il était barbu, poilu, bourru,
Et pauvre de lui, par moi, il n’est plus.
Il est mort, parait-il, il y a des mois… mais pour moi, c’était hier. Il en sera ainsi jusqu’à la mienne.
Ainsi soit-il.
M.R 2012